Chronique

PËRL - LES MAÎTRES DU SILENCE / Terre Ferme Records 2021

Le groupe francilien Përl, composé d’Aline Boussaroque au chant, à la guitare et au clavier, de Bastien Venzac à la basse et de Thibault Delafosse à la batterie et aux percussions, est un trio qui prend le temps de faire les choses bien, avec 3 albums studio en 13 ans d’existence, en soignant ses textes et compositions, comme nous le prouve la sortie il y a quelques jours du petit dernier Les Maîtres du silence. Je suis loin de découvrir le groupe avec cet album, réalisé avec la participation d’Etienne Sarthou pour l’enregistrement et le mix et Magnus Lindberg pour le mastering audio, puisque je connais leurs précédents opus Luminance et R(a)ve, notamment pour avoir vu Përl sur scène 4 ou 5 fois. Je ne serai probablement pas décontenancée par leurs sonorités mêlant allègrement post-metal, post-black et rock, mais tout l’intérêt réside dans la façon dont les trois musiciens auront réinventé leur musique et remanié leurs influences diverses.

De prime abord je suis déjà séduite par l’artwork magnifique de la pochette, une aquarelle représentant un loup, des corneilles et des arbres, à la fois poétique et épuré, réalisé par l’artiste Raphaëlle Monvoisin : une pochette plutôt surprenante pour un groupe de metal (mais Përl est un groupe plein de surprises, s’affranchissant pas mal des genres). L’album démarre avec Varulv, un titre qui souffle le chaud et le froid entre accords chaloupés et ruptures de rythme brutales, sur lequel la voix d’Aline se fait d’abord douce et lointaine, puis soudainement intense et brutale, mettant toujours en valeur des paroles très lyriques en français, entre incantation et expression brute. Je reste suspendue à la dernière minute planante et minimaliste, presque ambiante. Le tempo s’accélère avec Je parle au Sauvage, le deuxième titre et premier single issu de l’album ; dont le clip vaut le détour d’ailleurs, et que je ne peux que vous inviter à aller regarder. Cette chanson est extrêmement accrocheuse et efficace, sa mélodie reste en tête longtemps après l’écoute, je la trouve galvanisante, avec un côté purificateur, exutoire. Le pont plus doux et sur le fil en fin de titre avant une reprise virulente apporte une respiration dans un morceau punchy qui est un hymne en puissance. Sans trop savoir pourquoi, l’instru de Monarques m’évoque un peu Dionysos, peut-être pour son démarrage doux-amer, à la fois investi et nonchalant. Le titre mute doucement en quelque chose de plus dansant et envoûtant, avant de devenir un cri plus saccadé, où la musique se fait alarme, alerte. Il y a clairement des passages qui ne peuvent s’écouter qu’en dodelinant de la tête, yeux clos, en se laissant porter jusqu’au refrain. C’est un titre au sein duquel la douceur et la brutalité s’entremêlent à merveille. L’outro m’évoque The Cure - décidément, je ne suis pas au bout de mes surprises ! Le quatrième morceau, L’(h)être balafré, débute tout en délicatesse, et met en avant le chant ondoyant d’Aline, se démultipliant en vagues, avant d’exploser dans une supplique intense. Les variations d’ambiances, les jeux d’échos, les grésillements finaux donnent du relief à ce titre inventif.

Le veilleur offre un début plus folk, presque pagan, avec un côté plus organique, jusqu’au moment où la voix d’Aline, au traitement étonnamment synthétique et monocorde, vient apporter une facette dramatique. Peut-être le premier morceau pagan indus ? Certains passages sont très sombres, des blocs sonores, succédés par d’autres au contraire beaucoup plus légers, aériens, esquissant un va-et-vient entre des atmosphères très modernes et étouffantes, et d’autres plus primitives et aérées. Est-ce que je me demande ce que pourrait donner un clip pour ce titre, entre gris et vert ? Oui. Est-ce que j’ai hâte de pouvoir le voir interprété sur une scène vu comme il est riche, dense et diablement prog ? Carrément. On enchaîne avec Sur le seuil, berceuse déceptive avec ses boucles de batterie et de guitare, son chant suave, mais avec des pics mélodiques mélancoliques, voire inquiétants. Le revirement rythmique de fin de morceau est extrêmement bien géré et vient donner une nouvelle dimension au titre, avec des riffs et des percussions plus rock mais aussi teintés de synthwave au niveau du tempo. L’avant-dernier morceau, Le Jour des Corneilles, est aussi le plus long, avec ses passages parlés, un pont au shamisen surprenant et onirique pour un moment d’évasion, des paroles à l’interprétation théâtrale et reprises en chœur à donner des frissons, encore une claque en termes de variété et de cohérence à la fois. C’est le titre le plus court, Et dans l’aube la nuit emplit leurs yeux, qui clôt l’album, alliant chant lancinant, batterie, basse et guitare tantôt pressantes comme un compte à rebours, tantôt élastiques et planantes, pour finir dans un souffle qui s’étire en se désagrégeant, dans lequel le silence presque total est encore une musique.

Avec ce troisième album Përl confirme son talent de composition et d’interprétation avec son style unique, ainsi que sa place méritée dans la scène metal française actuelle. Je ne dirais pas que Les Maîtres du Silence est une perle, parce que ce serait trop facile, mais c’est un bout de forêt dans la ville, un peu de poésie dans le chaos.
 
Critique : Elise Diederich
Note : 9/10
Site du groupe : Page Facebook du groupe
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