Interview

LOFOFORA (2018) - Reuno (chant)

Novembre 2014, nous avions retourné avec Reuno, un peu sans le vouloir, la question Lofofora dans tous les sens. En réalité, nous avions refait le monde, parlé de la scène française, de société, de géographie, de culture, oubliant complètement les standards de l'interview. Je vous invite chaudement à revenir là-dessus. Nous sommes en novembre 2018, et Lofofora s'apprête à clore l'expérience d'une année à jouer sa musique en acoustique. Une tournée qui a suivi la sortie de l'album Simple appareil conçu de même. Justement, nous reviendrons moins sur cette conception, que sur la mise à l'épreuve sur le terrain, au contact du public. Cela commence sur bande par les discussions dans les loges et puis un top départ : "Vas-y, ça y est on est prêt, fais tourner l'truc".

3 Novembre 2018, le Cargo de nuit, Arles (13).

DÉBUT DE TOURNÉE VS FIN DE TOURNÉE
Nous voici dans les loges, les fameuses que Reuno m'avait alors décrites comme taguées de toute part, mais rien d'artistique, si vous voyez ce que je veux dire. La réalité est à la hauteur du mythe et il faut reconnaître que ce côté artistico-glauque a du charme. Un certain coté Max Payne. En tout cas cela élude la première question sur l'état des lieux. Le tourman et le régisseur sont également présents, tout comme Daniel qui gratouille paisiblement. Ou en tout cas, c'est à ce moment là que j'ai compris la définition du mot paisible.
Sans transition, je propose de faire comme une rétrospective à partir du concert donné à Bagnols-sur-Cèze, dans la nouvelle salle de la MOBA, et qui figure parmi les toutes premières dates de la tournée. Reuno se souvient de tout :

Reuno : C'est plutôt cool, c'est un endroit où les gens sont tous plus ou moins intermittents du spectacle, et qui ont décidé de monter une salle avec leur propre tirelire.
Denis (Le tourman) : Le lendemain du concert des Lofos, ils fêtaient leur première année d'ouverture.
Reuno : Ouais, et ils avaient toujours pas l'autorisation, et tout ça. Ils prennent les devants, ils font leur truc, c'est vraiment bien. Je garde un bon souvenir de cet endroit et de l'équipe.

Weska : J'avais trouvé le concert un peu... spécial
Reuno : Ah oui, les gens. Il y avait un espèce de relou au premier rang je me rappelle, et aussi un groupe complètement navrant en première partie qui faisait des reprises de Pink Floyd. Ils étaient dans un sale état. Ils arrivaient pas à jouer c'était horrible. Je faisais un p'tit somme et à un moment donné j'entends quatre personne applaudir, et je me suis inquiété "y'a que ça comme monde ?" "non, si si, mais va voir".

Weska : Pour le public justement je me suis posé des questions, comme c'était une des toutes premières dates, et je me suis dis, les pauvres, si ça doit être ça toute la tournée...
Le contexte de la question. Entre les relous du devant, et le public surpris de voir de l'acoustique, en premier lieu les métallos de base qui hurlaient "à poil" ou "envoi les watts" qu'il fallait recadrer, non, c'était loin d'être un bon départ, même si le show était agréable.
Reuno : Non non, déjà nous, on a bien évolué. C'est quand même une expérience particulière de jouer en acoustique. D'habitude on arrive, on fait du bruit, on est là pour que les gens sautent en l'air, foutent le bordel et se sentent... vivre un peu plus fort pendant une heure et demi. Et là, on a autre chose à proposer. Et on ne savait pas au début comment donner corps au truc, comment incarner cette musique-là, enfin, comment lui faire prendre vie sur scène. Parce qu'entre composer chez toi, enregistrer un disque, et puis après que ça ressemble un minimum à un spectacle... pas juste des gars assis dans le salon entrain de faire de la musique... (Ce que Klone, le même soir, réussi magnifiquement bien ceci dit, ndr). Après, on ne se filme pas pour dire toi il faut que tu bouges comme si ou que tu fasses ça, juste le sentir quoi, que t'habites vraiment tes chansons. Ça a pris du temps, c'est vrai. Peut-être que ça a contribué à ce résultat. Mais au début, on en était presque à s'excuser de faire ce qu'on faisait.

Weska : En tant que spectateur, je me suis aussi poser des questions. Qu'Est-ce que je fais ? Rester debout comme un flan à un concert de jazz ? Camper au bar ? Ce n'était pas évident non plus.
Reuno : L'album venait tout juste de sortir. On a vraiment senti un changement avec la deuxième partie de tournée, depuis la rentrée. Parce que les gens ne connaissaient pas le projet avant. Je pense qu'il y a eu depuis un peu de bouche à oreille, que des gens ont peut-être posté des vidéos que d'autres ont vu sur Internet pour se rassurer. Donc maintenant il y a moins le côté dubitatif chez le public.

Weska : Du coup, vos dates ça ressemble à quoi maintenant ?
Autant vous dire qu'à cette question, c'est presque un tollé général. Une véritable court de récréation. Ça crie au Spoiler (merci Lionel).
Reuno : Ah toi de me dire ! Ce soir ça peut ressembler à autre chose, mais en général ça ressemble à quelque chose que les gens n'attendent pas, en tout cas pour la plupart.

Weska : Vous avez retravaillé quelque chose ?
Reuno : Je pense qu'on a rajouté des morceaux, modifié un peu la setlist. Mais non rien de particulier.

LA MUSIQUE DE SAUVAGE, EN ACOUSTIQUE
Weska : Sur quels critères vous vous êtes basés pour la set liste, pour ce qui est du passage des titres classiques en acoustique ?
Reuno : Déjà t'essayes de l'imaginer, et puis après t'essayes de le jouer. Il y a des tas de trucs où on s'est dit que ça allait bien sonner, mais en fait pas du tout, et donc tu ne le fais pas, et puis d'autres morceaux où ça fonctionne pas et d'un seul coup Daniel dit "tiens, si on le prenait plutôt comme ça", et un morceau qui tu as toujours joué avec une certaine rythmique, tu vas l'entendre avec une autre et dire "ah ouais, c'est marrant, vas-y on essaye".

Weska : j'avais pensé à un truc comme Carapace..
Reuno : Non, non, le punk en fait c'est très vilain. Tous les trucs speed comme ça en acoustique, c'est pas joli quoi. On a fait quand même passé certain morceau, mais avec des tourneries plus ternaire tu vois.
En clair, ce n'est pas un hasard si finalement la façon de rentre certains titres digestes étaient de les faire sonner plus blues.

Weska : Le pari de l'acoustique était risqué non ? Tu t'attendais forcément à moins de vente, moins de billets de concert vendu, peut-être une tournée difficile d'un point de vue financier.
Reuno : On a rien parié du tout. Ce n'est pas un pari, c'est une expérience qu'on avait envie de tenter ensemble. C'est pas le fait de faire de l'acoustique qui va nous ouvrir des portes du réseau chanson. Parce que pour tous ces gens là, on reste quand même des graisseux, quoi qu'il en soit, et puis pour même pour tout une partie du public, même si on sait qu'il y a des gens qui aiment l'identité du groupe, qui aiment la notion de partage qu'on essaye de vivre avec eux, qui sont attachés à ça et qui ont été prêt à nous suivre, il y a ceux qui viennent juste pour le pogo, pour se défouler pendant une heure et demi, et ceux là ont eu un petit peu de mal à intégrer l'idée.

Mais on a vu quand même du circle pit et des choses sympas assez inattendues sur de l'acoustique. En fait en France, dès qu'on pose l'étiquette acoustique, et c'est vrai que l'album, parce qu'il est acoustique, est assez posé, on a tout de suite l'idée d'un truc cool. Alors que non, on ne fait pas de l'acoustique cool. C'est pas, c'est pas...

Gros talent d'imitateur
Weska : C'est pas la cabane au fond du jardin'g
Reuno : Bah voilà ! C'est ça! C'est justement ce dont je parle. Je veux pas charger ce bon monsieur Cabrel, mais j'allais dire que j'appelle ça le syndrome Francis Cabrel. Où les gens tu leur dis acoustique, ils imaginent tout de suite un truc mélancolique, un peu champêtre comme ça.

Weska : Et le fait de composer en acoustique, d'être sorti de votre zone de confort, qu'est-ce que cela vous a apporté ? Vous vous sentez capable de n'importe quoi ? Il y a quatre ans tu disais très exactement "le jour où on voudra faire du punk à roulette, on fera du punk à roulette".
Reuno : Maintenant oui. On a voulu faire de l'acoustique, on a fait de l'acoustique. C'est complètement ça. Mais ce n'était pas simple parce que tu vois, il y a des tas de groupes de métal qui à côté ont d'autres projets, ils font de la folk ou autre, ça existe. Mais Daniel ne joue pas de la guitare acoustique. Il a acheté une guitare... bon il en avait une, mais elle n'était pas adapté avec ce qu'on voulait faire. Ça a été pareil pour Phil, il s'est acheté une basse acoustique. Il a fallu pratiquer ces instruments-là et les apprivoiser aussi pour composer. Mais oui avec Lofo, on peut tout se permettre. C'est sur qu'on jouera pas avec un orchestre philarmonique, et qu'on fera pas une reprise de mix Ibiza non plus.

Weska : Vous pourriez faire un split album, comme ça se faisait dans le temps.
Reuno : Bah tu sais on a beaucoup fait ça à nous tout début, on fait parti de ces premiers groupes à s'intéresser à la culture hip hop et c'est quelque chose qui se faisait beaucoup dans le hip hop. Après ça s'est un peu généraliser dans les groupes français, mais ça se faisait pas tant que ça.

APRES L'ACOUSTIQUE
S'il y a une carotte pour me remotiver à voir Lofofora une fois de plus dès qu'ils repassent dans le sud, c'est bien celle de voir les nouveaux morceaux en non-acoustique. Enfin, encore faut-il que cela ait été envisagé comme ça.La question est évidente, mais pourtant essentielle :
Weska : "Qu'est-ce qu'on retrouvera de Simple appareil une fois que la saison sera terminée?"

Reuno : Phil voulait qu'on bosse cet album comme ça, qu'on le joue comme ça pendant une tournée, et qu'après, les morceaux qu'on arrive à électrifier, on les électrifie. On va faire le contraire des groupes qui font de l'unplugged. On va essayer de brancher des morceaux acoustiques, de voir comment ça peut fonctionner, j'ai déjà deux, trois idées comme ça...


Fin,
Enfin, pas tout à fait. C'est un peu brutal comme fin d'interview, mais après tout, on fait ce qu'on veut. En fait, il y a eu comme du hors-caméra, des moments encore moins prévus, et des perches tendues, plus au moins efficaces. Alors plus qu'un question/réponse, petit bonus avec des sujets qui aurait pu rester sur bande...

Bonus
Une histoire de Kévin
En réalité, l'interview a été ponctué de l'entrée dans les loges de Kévin. Il s'agit du batteur qui remplace Vincent le temps de son tour du monde à vélo. Après les salutations d'usages, je souligne l'écart d'âge. Vient alors le récit de la rencontre avec Kévin au Québec alors qu'il officiait pour le groupe de brutal death Benighted, et comment Lofo en général, au feeling, au bouche à oreille, à la confiance, recrute ses membres, y compris l'ingé son, trouvé à la hâte. Le facteur humain au coeur de l'organisation Lofofora. Il n'y aurait presque qu'un fan du groupe pour trouver ça normal.

Vendre le format acoustique
S'il y a bien une déception de cette tournée, c'est bien d'avoir été en quelque sorte exclut des festivals de l'été. Le format acoustique, jugé trop risqué, n'a pas du plaire aux programmeteurs et Lofofora souhaitait vraiment défendre ce projet là, et ne faire aucun compromis. "On a été un peu puni, ça a été pénible d'avoir l'impression d'être sur le band de touche pendant que les copains jouent" déclare Reuno.

Tambours du bronx - W.O.M.P (Weapon of Mass Percussion) dans les bacs !
Cette troupe de percussionnistes "qui tapent sur des bidons avec des gros bouts de bois", formé il y a 30 ans déjà, s'est fait remarquer dans la sphère métal pour avoir été invité par Sepultura avec lesquels ils ont enregistré un CD live. Leur envie de poursuivre dans cette voie et leur rencontre avec Francky Costanza (Blazing war machine, Ex-Dagoba) a fait le reste.

Reuno est donc fier d'avoir été sollicité pour prendre la voix du nouvel W.O.M.P (Weapon of Mass Percussion), publié comme Lofofora au label at(h)ome. Mais dans la mesure où la troupe tourne et qu'il faut aussi des remplaçant, Renato Di Folco de God Damn (déjà chroniqué ici), et nouveau chanteur de Trepalium, prendra le relai de Reuno sur quelques dates. Je peux déjà vous donner mon avis, les spectateurs ne seront pas déçu, sa voix est également monstrueuse. Quoi qu'il en soit, nous ne manquerons pas d'écrire un petit billet là-dessus. Le premier titre Mirage éternel est déjà bien prometteur !




 
Critique : Weska
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